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Don Quichotte
18 mars 2007

Film d'Orson Welles

Don Quichotte entraîne son écuyer Sancho à la recherche des chimères qu'il veut offrir à son aimée Dulcinée. De nouveau dans l'Espagne des années soixante du XXème siècle, la silhouette extravagante de l'hidalgo telle qu'elle avait été créée par Cervantès, accompagné à contrecœur par Sancho, parcourt le territoire espagnol sans but fixe, et sans victoire, en proie au mépris et aux jets de pierres. Ils se trouvent toutefois dans une Espagne effrayée et vide dans laquelle le peuple ne se livre qu'à des simulations, une lueur de gaieté : San Fermín, les fêtes des maures et des chrétiens, les processions...

            La production se déroule de 1955-1973, et le tournage en Espagne, Italie et Mexique se réalise sporadiquement de 1957 à 1976. En 1986 une quarantaine de minutes de rushes sont présentés par la Cinémathèque française, puis, six ans plus tard, Jésus Franco présente un montage qui est durement critiqué mais qui, depuis l'édition DVD fait référence.

Orson Welles avait l'habitude de l'appeler "Il mio bambino" : son bébé. Quel qu'il fut, enfant bien aimé ou jouet favori, Welles ne pouvait jamais arriver à décider qu'il en avait fini avec lui pour de bon. Aussi tard qu'en juin 1985, quatre mois avant sa mort, il téléphonait à Mauro Bonanni (son monteur) l'invitant à Los Angeles pour qu'il puisse encore s'amuser au montage. Don Quichotte s'est métamorphosé avec les ans.

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            « J'ai commencé par en faire un programme de télévision d'une demi-heure, j'avais juste assez d'argent pour le faire ; mais je suis tombé si éperdument amoureux de mon sujet que je l'ai agrandi au fur et à mesure et que j'ai continué de le tourner en fonction de mes rentrées d'argent. On peut dire qu'il a grandi à mesure que je le faisais. Il m'est arrivé plus ou moins, vous le savez, ce qui est arrivé à Cervantès qui commença par une nouvelle et finit par écrire Don Quichotte. C'est un sujet que l'on ne peut plus lâcher une fois qu'on a commencé ».

            Le film est constitué de trois niveaux distincts : l'existence de Don Quichotte et de Sancho Pança comme héros mythologiques ; l'Espagne et le monde contemporain ; Welles et son film par rapport à ces deux autres niveaux. Il y a à la fois, le mythique - "c'est très stylisé, beaucoup plus que tout ce que j'avais fait auparavant ; stylisé au point de vue des cadrages, de l'emploi des objectifs, un reportage improvisé sur le mythe mais également Orson Welles intervenant en tant que tel comme il l'avait fait dans ses programmes de télévision ou dans ses autres essais.

            Les héros de Cervantès y apparaissent sous quatre aspects déférents : en tant que figures intemporelles en marche dans un paysage ; les aventures directement reprises directement de Cervantès : la lute contre les moulins à vent, les moutons ; les pèlerins ensorcelés par les magiciens ou la vision de la dame : la sortie de Don quichotte dans le monde contemporain, au-delà de son renoncement et de sa mort chez Cervantès et en tant que figure présente et éternelle : Don quichotte est le chevalier de la lune, ce pourquoi il devait s'y rendre.

            Bien avant Terry Gilliam (Cf. le documentaire Lost in la Mancha), Orson Welles s’était déjà cassé les dents sur l’adaptation du chef d’œuvre de Cervantès. Vingt-cinq années de tournage pour un film inachevé longtemps considéré comme perdu, avant que les bobines ne soient retrouvées et finalement montées en 1992 par Jess Franco (réalisateur des Prédateurs de la nuit, avec Brigitte Lahaie !) et Patxi Irigoyen, sept ans après la mort de Welles. Fameuse arlésienne, rêve de cinéphile, ce Don Quichotte démontre l’importance que prendrait par la suite le montage dans l’œuvre de Welles : au fur et à mesure, le cinéaste se révélait de moins en moins intéressé par le tournage de ses films, estimant que ceux-ci se construisaient réellement sur la table de montage. Accumulation de rushes sans réelle cohérence, le film apparaît comme un magma d’une rare laideur, que le cinéaste aurait sans doute dynamité par la suite – comme il l’avait fait pour Othello. Le journaliste espagnol Juan Cobos, qui avait assisté à une projection du film monté par Welles lui-même, s’accorde d’ailleurs à dire que le film que l’on connaît aujourd’hui est bien différent de celui voulu par le cinéaste.
            Selon l’aveu même du cinéaste, Don Quichotte n’est pas resté inachevé pour cause de manque de moyens. Ce film apparaissait pour Welles comme une sorte de Work in progress, un « exercice privé » réalisé au fil des ans de façon indépendante, sans obligation, sans contrainte de temps. Alternance sans rythme et sans génie de plans (très) larges et de plans courts, utilisant à foison les contre-plongées afin d’inscrire son personnage principal dans la verticale, Don Quichotte se révèle, en l’état, un sombre ratage qui n’a que peu de valeur autre qu’historique. De nombreuses scènes, conservées à l’état de rushes par des collectionneurs européens, n’ont d’ailleurs pas pu être intégrées au film. Que reste t-il ? Principalement la façon dont le film s’inscrit malgré tout dans l’œuvre du cinéaste, à travers un nouveau personnage marginal, rejeté, démiurgique, finalement proche de son Charles Foster Kane ou surtout de son Arkadin. Au final, si ce DVD, ressorti dans la collection Les Films de ma vie, apparaît comme nécessaire pour mieux appréhender l’œuvre du cinéaste, le film en lui-même se révèle bien anecdotique.

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